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ŒUVRES POSTHUMES l'auteur. Et pour nous, mon ami, quelle effroyable res- ponsabilité. Le voilà bien, mon ami, le quasi-contrat, et toutes les responsabilités qu'il emporte. Le contrat fait sans nous, où nous sommes liés sans qu'on nous ait demandé notre avis. Parmi tant d'autres, quasi- contrats, qui nous ont lié les poignets pour toute notre vie temporelle, et peut-être pour un peu plus. En voici un. D'une part, de son côté l'auteur met l'œuvre. De l'autre part, de notre côté nous apportons toute la mé- moire du monde, nous mettons la commune mémoire de la commune humanité. Nous mettons cette com- mune mémoire, si précaire, si puissante, qui incessam- ment se fait et se défait. Tels sont les apports contrac- tuels. Et les rapports, et les relations, et les ligatures mutuelles. Telles enfin, de part et d'autre, les contrac- tuelles obligations. C'est un contrat manqué, comme tous les contrats, et qui, comme tous les contrats, est indéfaisable. Contrat pour lequel nous n'avons jamais été et ne serons jamais consultés, ni d'une part l'au- teur, ni de l'autre part nous le public. Ces œuvres sont en nos mains comme des otages, elles sont des prison- nières esclaves, les femmes de Darius. Aux mains, hélas, de quelle postérité d'Alexandre. De nous leur honneur dépend, et leur estimation, et leur vie. Leur estimation, l'estimation d'elles, qui est encore leur être même. Il ne vous échappe pas, mon ami, que c'est le plus grand honneur qui puisse nous être fait dans le temps, et que nous ne l'avons point demandé.

On nous a fait, seigneur, en nous honorant beaucoup

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