Page:Peguy oeuvres completes 08.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suite il y a un vieillissement d’un peuple et un vieillissement du monde.

Il n’y a rien eu, et le monde a changé de face, et l’homme a changé de misère.

On se demande ce que l’on disait. Et on ne le trouve plus.

On se demande de quoi on parlait. Le galérien a changé de chaîne. Et une jeunesse s’est muée en vieillesse.

Quand ce vieillissement, (dit-elle), apparaît sur une longueur de temps pour ainsi dire bien chronologique, bien chronographique, bien enregistrée, on le saisit encore. Quand il est marqué par des articulations bien nettes. Quand il est articulé par tout un appareil d’enregistrement historique. Il apparaît alors comme sur une carte en relief. Celui qui a su placer ses quatre-vingt-trois ans entre 1802 et 1885 a eu un vieillissement articulé. Un vieillissement en relief. L’homme qui a connu 1814 et 1815 ; 1830 ; 1848 ; le deux Décembre ; 1870 et 1871 ; ou si l’on préfère compter par les paliers et par les plats l’homme qui a connu l’Empire ; la Restauration ; Louis-Philippe ; la deuxième République ; et sur cette articulation du coup d’État le second Empire ; et sur cette double articulation de la Guerre et de la Commune la troisième République, cet homme peut se vanter non seulement d’en avoir connu beaucoup, (ce n’est pas cela que je veux dire aujourd’hui), et d’en avoir connu presque plus que pour son grade, d’homme, plus que pour sa gran-