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ŒUVRES POSTHUMES didit ; et ii se demande ce qu'il a fait de sa jeunesse et il voit qu'il a perdu sa jeunesse.

Dieu fait bien ce qu'il fait, (dit-elle), (comme dit La Fontaine). Que serait-ce de l'homme si on suivait l'arithmétique et si cette affreuse mélancolie de l'homme de quarante ans devait non seulement se continuer mais s'accroître et se multiplier par dix de décade en décade. Heureusement il n'en est rien, dit-elle, et ie quarantenaire ne devient pas cinquantenaire : il devient historien.

L'homme de quarante ans, dit-elle, est dans le plein de la mélancolie de l'homme. 11 voit ce que c'est que la vie, au moment même où non seulement elle lui échappe, mais au moment où elle vient de lui échapper irrévocablement. Il voit ce que c'est que la vie au moment même qu'elle vient de lui manquer.

La vie serait insoutenable si cette mélancolie devait s'accroître à proportion. Mais voyez ce qui se passe, dit-elle. Cette mélancolie non seulement ne dure pas. non seulement ne persiste pas. Et encore plus non seu- lement elle ne s'accroît pas. Mais elle devient vite méconnaissable à elle-même et le cinquantenaire et l'homme qui a passé la quarantaine ne la reconnaît même plus. Dieu a fait à l'homme la grâce de le faire historien. Et c'est même la plus grande grâce que Dieu ait faite à l'homme et la plus grande miséricorde : que de le faire historien.

L'homme de quarante ans est chroniqueur et mémo- rialiste comme l'homme de vingt ans est poète. Mais

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