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Cette dure écorce rugueuse et ces branches qui sont comme un fouillis de bras énormes,

(Un fouillis qui est un ordre),

Et ces racines qui s’enfoncent et qui empoignent la terre comme un fouillis de jambes énormes,

(Un fouillis qui est un ordre),

Quand vous voyez tant de force et tant de rudesse le petit bourgeon tendre ne paraît plus rien du tout.

C’est lui qui a l’air de parasiter l’arbre, de manger à la table de l’arbre.

Comme un gui, comme un champignon.

C’est lui qui a l’air de se nourrir de l’arbre (et le paysan les appelle des gourmands), c’est lui qui a l’air de s’appuyer sur l’arbre, de sortir de l’arbre, de ne rien pouvoir être, de ne pas pouvoir exister sans l’arbre. Et en effet aujourd’hui il sort de l’arbre, à l’aisselle des branches, à l’aisselle des feuilles et il ne peut plus exister sans l’arbre. Il a l’air de venir de l’arbre, de dérober la nourriture de l’arbre.

Et pourtant c’est de lui que tout vient au contraire. Sans un bourgeon qui est une fois venu, l’arbre ne serait pas. Sans ces milliers de bourgeons, qui viennent une fois au fin commencement d’avril et peut-être dans les derniers jours de mars, rien ne durerait, l’arbre ne durerait pas, et ne tiendrait pas sa place d’arbre, (il faut que cette place soit tenue), sans cette sève qui monte et pleure au mois de mai, sans ces milliers de bourgeons qui pointent tendrement à l’aisselle des dures branches.

Il faut que toute place soit tenue. Toute vie vient de tendresse. Toute vie vient de ce tendre, de ce fin bourgeon d’avril, et de cette sève qui pleure en mai,