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Madame Gervaise

— Oui, ma fille, et j’ai pensé que tu étais malheureuse.

Jeannette

— Hélas.

Madame Gervaise

— Dieu nous conduit, mon enfant, Dieu nous conduit par la main. Nous sommes dans la main de Dieu. Nous ne faisons rien que Dieu n’y consente et ne le veuille. C’est Dieu, c’est Dieu même qui ce matin m’a conduit vers vous.

Jeannette

— Ainsi soit-il, madame Gervaise.

Madame Gervaise

— Dieu m’a conduit vers toi parce que tu es malheureuse. On s’imagine ici, dans la paroisse, que tu es heureuse de ta vie parce que tu es bonne chrétienne, parce que tu es bonne paroissienne, parce que tu es pieuse ; parce que tu as bien fait ta première communion ; parce que tu vas bien à la messe et aux vêpres ; parce que tu vas souvent à l’église ; et que dans les champs tu te mets à genoux au son lointain des cloches calmes.

Jeannette

— Hélas.

Madame Gervaise

— Je sais, moi, que tout cela ne suffit pas. J’ai pensé que tu étais malheureuse, toi aussi, et c’est pour cela que je suis venue de suite.