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sidéré une fois pour toutes, la fois qui comptait. Et sa misère était votre misère. Sa misère propre était votre misère propre. C’était un Juif, un simple Juif, un Juif comme vous, un Juif parmi vous. Vous l’avez connu comme on dit d’un homme : Je l’ai connu dans le temps. Et pendant ce temps-là nos aïeux, nos grands-pères païens, nos grands-pères paysans, nos pères et les pères de nos pères dans ce pays-ci continuaient de travailler la terre ; ils continuaient de travailler ce pays-ci ; tout continuait comme toujours, tout continuait comme si de rien n’était ; ils continuaient de travailler la vigne et le blé, mais ni cette vigne ni ce blé n’avaient encore servi à aucune consécration ; ni ce pain ni ce vin n’avaient encore été consacrés ; les femmes continuaient à cuire le pain ; mais c’était un pain uniquement temporel, un pain de blé temporel, un pain du blé de la terre ; un pain uniquement pour la faim du corps ; et le vin aussi était uniquement un vin de la vigne de la terre ; les filles gardaient les moutons, les filles continuaient de filer la laine ; tous innocents, mais tous païens, tous laborieux Hauviette ils travaillaient déjà, ils ne cessaient de travailler. Ils continuaient. C’étaient de bonnes gens, c’étaient de pauvres gens, mais ils ne savaient pas. Ils ne travaillaient que d’un travail temporel. Ils ne travaillaient que d’un travail de la terre. Ils ne savaient pas ce qui se préparait. Ils ne se doutaient pas, les bonnes gens, de la bonne nouvelle qui était arrivée, qui arrivait dans le pays des Juifs. Ils ne soupçonnaient pas. Et ils ne furent avertis qu’un peu de temps après. Alors aussi nous autres nous sommes frères de Jésus dans notre éternité. Et dans notre temps nous fûmes