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ce pays-là ont eu ce que les premiers de nous, les plus saints, les plus grands saints parmi nous n’auront éternellement jamais. Quel mystère, mon Dieu, quel mystère. Quand on pense, quand on pense, il fallait être là, il suffisait d’être né juste là, dans ce temps et dans ce pays. Mon Dieu, mon Dieu vous avez donné à vos bourreaux ce qui fut refusé à tant de vos martyrs. Le soldat romain qui vous perça le flanc eut ce que tant de vos saints, tant de vos martyrs n’ont pas eu. Il eut de vous toucher. Il eut de vous voir. Il eut sur terre un regard de votre miséricorde. Il eut sur terre un regard de vos propres yeux. Heureux ceux qui buvaient le regard de vos yeux ; heureux ceux qui mangeaient le pain de votre table ; et Judas, Judas même a pu vous approcher. Heureux ceux qui buvaient le lait de vos paroles. Heureux ceux qui mangèrent, un jour, un jour unique, un jour entre tous les jours, heureux d’un bonheur unique, heureux ceux qui mangèrent un jour, un jour unique, ce jeudi saint, heureux ceux qui mangèrent le pain de votre corps ; vous-même consacré par vous-même ; par une consécration unique ; un jour qui ne recommencera donc jamais ; quand vous-même vous dîtes la première messe ; sur votre propre corps ; quand vous célébrâtes la première messe ; quand vous vous consacrâtes vous-même ; quand de ce pain, devant les douze, et devant le douzième, le treizième, vous fîtes votre corps ; et quand de ce vin, vous fîtes votre sang ; ce jour que vous fûtes ensemble la victime et le sacrificateur, le même la victime et le sacrificateur, l’offrande et l’offertoire, le pain et le panetier, le vin et l’échanson ; le pain et celui qui donne le pain ; le vin et celui qui verse le vin ; la chair et le