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qu’on ne refera point. Heureux celui qui se trouva là, juste au moment où il fallait porter sa croix, l’aider à porter sa croix, une lourde croix, sa vraie croix, cette lourde croix de bois, de vrai bois, sa croix de supplice, une lourde croix bien charpentée. Comme pour tout le monde, pour tous les autres suppliciés du même supplice. Un homme qui passait par là, sans doute. Ah il avait bien pris son temps, celui-là, cet homme qui passait par là, juste à ce point, juste alors, juste à ce moment-là. Cet homme qui passait juste là. Combien d’hommes depuis, des infinités d’hommes dans les siècles des siècles auraient voulu être là, à sa place, avoir passé, être passés là juste à ce moment-là. Juste là. Mais voilà, il était trop tard, c’était lui qui était passé, et dans l’éternité, dans les siècles des siècles il ne donnerait pas sa place à d’autres ; et eux, les tard venus, ils ont été forcés de se rabattre sur d’autres croix, de s’exercer, de faire des exercices, de se rabattre à porter d’autres croix. De s’en fabriquer, eux-mêmes, d’autres croix. De s’en faire fabriquer. Artificiellement. Cela ne revient pas au même. Un homme de Cyrène, nommé Simon, qu’ils contraignirent de porter la croix de Jésus. Il n’a plus besoin, aujourd’hui, qu’on le contraigne d’avoir porté la croix de Jésus. Heureux surtout, heureux celui, et lui aussi il ne donnerait pas sa place à un autre, lui non plus, heureux celui qui pourtant ne le vit qu’une fois. Heureux celui, heureux surtout, heureux sur tous, le plus heureux de tous, heureux celui qui le vit dans le temps, et qui pourtant ne le vit qu’une fois. Heureux celui qui le vit dans le temple ; et ensuite ; car cela suffisait ; fut rappelé comme un bon serviteur. C’était un vieil homme de ce pays-là ; un homme qui approchait