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facile d’être soldat que d’être bûcheron, il est plus facile d’être soldat que d’être paysan ; il est plus facile, il est plus agréable, à ce qu’il semble, du moins on le dit, on dirait, il semblerait qu’il est plus agréable d’être bourreau que d’être victime. C’est un fait extraordinaire pourtant, c’est une des plus grandes preuves, c’est une des plus grandes marques de la bonté de Dieu qu’avec ça il y ait toujours autant de paysans que de soldats, autant de martyrs que de bourreaux ; autant de paysans qu’il en faut, autant de martyrs, autant de victimes qu’il en faut ; toujours autant des uns et des autres ; c’est la plus grande preuve qu’il y ait de la présence de Dieu parmi nous, qu’on a beau faire, qu’on dirait qu’on fait tout ce qu’on peut pour rendre certains métiers impossibles, pour décourager certains métiers, et qu’il y en ait toujours autant dans ces métiers-là, autant qu’il en faut pour faire marcher le monde. Et qu’on ne peut pas décourager les paysans, et qu’on ne peut pas décourager les victimes et les martyrs. Et que les soldats se lasseront avant les paysans, et que les bourreaux se lasseront avant les victimes et les martyrs.

On croit, on pourrait croire qu’il vaut mieux être à la place du bourreau qu’à la place de la victime, à la place du bourreau qu’à la place du martyr. Il faut croire que c’est une erreur.

Jeannette

— Voilà bientôt cinquante ans passés, Hauviette, que les bons laboureurs prient le bon Dieu pour le bien des moissons ; voilà huit ans passés que moi petite je le prie de toutes mes forces pour le bien des moissons. Madame Gervaise est au couvent : elle doit savoir