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Jeannette

— Vingt siècles, je ne sais combien de siècles de prophètes. Quatorze siècles de chrétienté. Il ne faut qu’un instant pour faire damner une âme. Il ne faut qu’un instant pour une perdition.

C’est toujours la même chose, la partie n’est pas égale. La guerre fait la guerre à la paix. Et la paix naturellement ne fait pas la guerre à la guerre. La paix laisse la paix à la guerre. La paix se tue par la guerre. Et la guerre ne se tue pas par la paix. Puisqu’elle ne s’est pas tuée par la paix de Dieu, par la paix de Jésus-Christ, comment se tuerait-elle par la paix des hommes ?

Par une paix d’homme.

Hauviette

— Tu as raison, ma grande, tu as raison. Le mieux, si on pouvait, ce serait de tuer la guerre, comme tu dis. Mais pour tuer la guerre, il faut faire la guerre ; pour tuer la guerre, il faut un chef de guerre ; riant comme de la plaisanterie la plus énorme, comme de l’imagination la plus invraisemblable ; et ce n’est pas nous ? n’est-ce pas ? qui ferons la guerre ? ce n’est pas nous qui serons jamais des chefs de guerre ? Alors nous, en attendant qu’on ait tué la guerre, il nous faut travailler, nous, chacun de son côté, chacun de son mieux, à garder sauf tout ce qui n’est pas encore gâté.

Chacun de notre côté.

Jeannette

— Ces soldats, ces soldats qui ne servent qu’à perdre. Encore, dans le temps, il y avait du monde qui servait