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Jeannette

— Elle est venue aussitôt, et je l’attends ce matin.

Hauviette

— La dernière fois qu’il y a eu des soldats, sa mère s’est sauvée dans l’île avec nous ; seulement il n’y avait personne, avec elle, pour emporter ses affaires ; moi, je ne pouvais pas, l’aider, lui porter ses affaires, puisqu’il y avait maman, qui avait besoin de moi. Ma pauvre Jeannette, ma pauvre Jeannette, alors elle se sauvait comme une pauvre vieille bonne femme toute seule. C’était affreux, c’était affreux. On en pleurait. Ça crevait le cœur, c’était une pitié. Mais on ne pouvait rien y faire. Elle baissait le dos, en courant. Je la vois encore. C’était honteux. On aurait eu envie d’y prêter des enfants. Aussi, après ça, alors quand elle est revenue, chez elle, quand elle est rentrée dans sa maison, elle n’a plus rien trouvé du tout de tout ce qu’elle avait avant : les soldats avaient tout volé, tout brûlé. On avait honte pour elle.

Elle se sauvait comme une pauvre vieille bonne femme de grand’mère qui n’aurait pas d’enfants.

Un silence bref.

En vérité madame Gervaise a mal choisi son temps pour délaisser le monde et pour sauver son âme …

Un silence.

Écoute, Jeannette. Il ne faut pas faire comme elle et fuir au couvent pour sauver son âme à soi. Il ne faut pas sauver son âme comme on sauve un trésor.