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minute. C’est toujours comme ça. C’est dans le genre de la charrue de travailler vingt ans. C’est dans le genre du sabre de travailler une minute ; et d’en faire plus ; d’être le plus fort. D’en finir. Alors nous autres nous serons toujours les moins forts. Nous irons toujours moins vite, nous en ferons toujours moins. Nous sommes le parti de ceux qui construisent. Ils sont le parti de ceux qui démolissent. Nous sommes le parti de la charrue. Ils sont le parti du sabre. Nous serons toujours battus. Ils auront toujours le dessus dessus nous, par dessus nous.

Nous aurons beau dire.

Un silence.

Pour un blessé qui se traîne au long des routes, pour un homme que nous ramassons au long des routes, pour un enfant qui traîne au bord des routes, combien la guerre n’en fait-elle pas, des blessés, des malades, et des abandonnés, de malheureuses femmes, et des enfants abandonnés ; et des morts, et tant de malheureux qui perdent leur âme. Ceux qui tuent perdent leur âme parce qu’ils tuent. Et ceux qui sont tués perdent leur âme parce qu’ils sont tués. Ceux qui sont les plus forts, ceux qui tuent perdent leur âme par le meurtre qu’ils font. Et ceux qui sont tués, celui qui est le plus faible, perdent leur âme par le meurtre qu’ils subissent, car se voyant faibles et se voyant meurtris, toujours les mêmes faibles, toujours les mêmes malheureux, toujours les mêmes battus, toujours les mêmes tués, alors les malheureux ils désespèrent de leur salut, car ils désespèrent de la bonté de Dieu. Et ainsi, de quelque côté qu’on se tourne, des deux côtés c’est un jeu où, comment qu’on joue,