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Elle croit, elle compte que nous sommes comme elle.
Elle ne ménage point nos peines. Et nos travails. Elle compte
Que nous avons toute la vie devant nous.
Comme elle se trompe. Comme elle a raison
Car n’avons-nous point toute la Vie devant nous.
La seule qui compte. Toute la vie Éternelle.

Et le vieillard n’a-t-il pas autant de vie devant soi que l’enfant au berceau.

Sinon plus. Car pour l’enfant au berceau la Vie éternelle,
La seule qui compte est masquée par cette misérable vie

Qu’il a devant lui. D’abord. Qui est devant. Par cette misérable vie terrestre.

Il faudra qu’il traverse. Il faudra qu’il passe par toute cette misérable vie terrestre

Avant d’arriver, avant d’atteindre, pour atteindre à la Vie
À la seule vie qui compte. Mais le vieillard il a de la chance.
Prudent il a mis derrière lui cette misérable vie
Qui lui masquait la Vie éternelle

À présent il est débarrassé. Il a mis derrière lui ce qui était devant.

Il voit clair. Il est plein de vie. Entre la vie et lui il n’y a plus rien. Il est au bord de la lumière.

Il est sur le rivage même. Il est à plein. Il est au bord de la vie éternelle.

On a bien raison de dire que les vieillards sont prudents.
Ainsi comme cette enfant avait raison de compter
Que nous sommes comme elle.