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Et qu’il avait eu grand peur.
Il pense encore en frémissant à ce jour-là.
Qu’il avait eu si peur.
Pour eux et pour lui.
Parce qu’ils étaient malades.
Il en avait tremblé dans sa peau.
À l’idée seulement qu’ils étaient malades.
Il avait bien compris qu’il ne pouvait pas vivre comme cela.
Avec des enfants malades.
Et sa femme qui avait tellement peur.
Si affreusement.

Qu’elle avait le regard fixe en dedans et le front barré et qu’elle ne disait plus un mot.

Comme une bête qui a mal.
Qui se tait.
Car elle avait le cœur serré.
La gorge étranglée comme une femme qu’on étrangle.
Le cœur dans un étau.
La gorge dans des doigts ; dans les mâchoires d’un étau.
Sa femme qui serrait les dents, qui serrait les lèvres.
Et qui parlait rarement et d’une autre voix.
D’une voix qui n’était pas la sienne.
Tant elle avait affreusement peur.
Et ne voulait pas le dire.

Mais lui, par Dieu, c’était un homme. Il n’avait pas peur de parler.


Il avait parfaitement compris que ça ne pouvait pas se passer comme ça.

Ça ne pouvait pas durer.
Comme ça.
Il ne pouvait pas vivre avec des enfants malades