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Si ça n’était pas pour ses enfants.
Et l’hiver quand il travaille dur.
Dans la forêt.
Quand il travaille le plus dur.
De la serpe et de la scie et de la cognée et de la hache.
Dans la forêt glacée.
L’hiver quand les vipères dorment dans le bois
parce qu’elles sont gelées.
Et quand il souffle une bise aigre.
Qui lui transperce les os.
Qui lui passe au travers de tous les membres.
Et il est tout transi et il claquerait des dents.
Et le givre lui fait des glaçons dans la barbe.
Tout d’un coup il pense à sa femme qui est restée à la maison.
À sa femme qui est si bonne ménagère.
Dont il est l’homme devant Dieu.
Et à ses enfants qui sont bien tranquilles à la maison.
Qui jouent et qui s’amusent à c’te heure au coin du feu.
Et qui peut-être se battent.
Ensemble.
Pour s’amuser.

Ils passent devant ses yeux, dans un éclair devant les yeux de sa mémoire, devant les yeux de son âme.

Ils habitent sa mémoire et son cœur et son âme et les yeux de son âme.
Ils habitent son regard.
Dans un éclair il voit ses trois enfants qui jouent et qui rient au coin du feu.
Ses trois enfants, deux garçons et une fille.
Dont il est le père devant Dieu.
Son aîné, son garçon qui a eu douze ans au mois de septembre.