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que l’on prie et que l’on commence par prier pour soi. Autrement il y aurait de l’orgueil. Il y a de l’orgueil, c’est qu’il y a déjà une pointe d’orgueil. Dieu t’arrachera, Dieu te libérera de cette servitude. Dieu te sauvera, Dieu te calmera de cette inquiétude. De cette dangereuse, de cette périlleuse inquiétude. Au péril de ton âme. De cette inquiétude mortelle. Dieu t’éclairera de cette obscurité, de cette ombre où tu cherches.

Il faut prier pour soi dans les autres, parmi les autres, dans la communion de tout le monde.

Tout ce que je veux te dire ; tout ce que je peux te dire, moi pauvre femme, c’est que si le grand saint François était là, notre frère François, je ne dis pas seulement qu’il ne parlerait pas comme toi, mon enfant ma fille ; je dis qu’il n’aurait entendu de telles paroles qu’avec horreur ; je dis qu’elles lui auraient crevé le cœur. Ou plutôt non, mon enfant, ma pauvre enfant. Riant presque. Elles ne lui auraient rien fait du tout. Car il n’aurait rien entendu du tout, riant, et ce n’est pas parce qu’il est sourd, il ne les aurait pas entendues du tout. Et elles auraient été épargnées à tout le monde, elles auraient été épargnées à la face du ciel. Car lui présent, mon enfant, notre frère François étant là, s’il était là ma pauvre enfant, ma chère enfant, c’est toi qui ne les aurais pas dites, lui présent tu aurais courbé le front, belle enfant, ton cœur se serait fondu. Et tu aurais suivi, tu aurais suivi. Ton cœur se serait fondu dans une véritable piété. Mon Dieu, vos saints devraient vivre toujours. Ils partent trop tôt ; toujours trop tôt. Vous les rappelez toujours trop tôt. Vous en avez bien assez pour vous. Vous en avez bien assez chez vous. Et nous nous en manquons.