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On ne les changera pas.
On ne les refera pas.
On ne les refera jamais.
Et lui il était venu pour les changer.
Pour les refaire.
Pour changer le monde.
Pour le refaire.
Elle suivait, elle pleurait.
Tout le monde la respectait.
Tout le monde la plaignait.
On disait la pauvre femme.
C’est que tous ces gens n’étaient peut-être pas méchants.
Ils n’étaient pas méchants au fond.
Ils accomplissaient les Écritures.
Ce qui est curieux, c’est que tout le monde la respectait.
Honorait, respectait, admirait sa douleur.
On ne l’écartait, on ne la repoussait que modérément.
Avec des attentions particulières.
Parce qu’elle était la mère du condamné.
On pensait : c’est la famille du condamné.
On le disait même à voix basse.
On se le disait, entre soi,
Avec une secrète admiration.
Et on avait raison, c’était toute sa famille.
Sa famille charnelle et sa famille élue.
Sa famille sur la terre et sa famille dans le ciel.
Elle suivait, elle pleurait.
Ses yeux étaient si brouillés que la lumière du jour ne
lui paraîtrait jamais claire.
Plus jamais.
Depuis trois jours les gens disaient : Elle a vieilli de
dix ans.