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C’est ainsi qu’on devient innocent criminel, peut-être les plus dangereux de tous.

Une action commencée sur la mystique continue sur la politique et nous ne sentons point que nous passons sur ce point de discernement. La politique dévore la mystique et nous ne sautons point quand nous passons sur ce point de discontinuité.

Quand par impossible un homme de cœur discerne au point de discernement, s’arrête au point d’arrêt, refuse de muer à ce point de mutation, rebrousse à ce point de rebroussement, refuse, pour demeurer fidèle à une mystique, d’entrer dans les jeux politiques, dans les abus de cette politique qui est elle-même un abus, quand un homme de cœur, pour demeurer fidèle à une mystique, refuse d’entrer dans le jeu de la politique correspondante, de la politique issue, de la parasitaire, de la dévorante politique, les politiciens ont accoutumé de le nommer d’un petit mot bien usé aujourd’hui : volontiers ils nous nommeraient traître.

D’ailleurs ils nous nommeraient traître sans conviction, pour mémoire, pour les électeurs. Parce qu’il faut bien mettre quelque mot dans les programmes et dans les polémiques.

Qu’on le sache bien c’est ce traître que nous avons toujours été et que nous serons toujours. C’est ce traître, notamment, éminemment, que nous avons toujours été dans l’affaire Dreyfus et dans l’affaire dreyfusisme. Le véritable traître, le traître au sens plein, au sens fort, au sens ancien de ce mot, c’est celui qui vend sa foi, qui vend son âme, qui livre son être même, qui perd son âme, qui trahit ses principes, son idéal, son être même, qui trahit sa mystique pour entrer dans la poli-