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qui eussent été pris le même jour et qui ensemble eussent subi cette commune humiliation, qui la tête basse reviendraient ensemble des pontons anglais ou des casemates allemandes, ayant beaucoup souffert, sachant ce que les autres ne savent pas, qui ensemble rentreraient dans le commun pays. On est comme deux prisonniers qui se fussent un peu déshonorés ensemble. Ainsi nous sommes devenus compagnons de chaîne. C’est l’état d’humiliation, c’est l’état chrétien même, c’est proprement l’état de péché. Qui sait dans cet état, dans cet accident de cet état, qui est le plus coupable, celui qui pèche, ou si ce ne serait pas celui contre qui on pèche, uter gravius peccet, qui peccet, an qui peccatum paliatur ; (scilicet is adversus quem, contra quem peccetur) ; qui des deux est le plus victime, le plus malheureux, le plus offensé. Tel est l’état de péché. C’est un état qui dépasse de beaucoup, qui dépasse infiniment le péché même, peccatum, qui le déborde de toutes parts. Qui est même autre, au fond, infiniment autre, on peut le dire, qui est tout autre chose. Il est certain que dans une prière que vous ignorez, Halévy, quand nous disons Ora pro nobis peccatoribus nous donnons à ce mot peccatoribus, ou plutôt ce n’est pas nous qui le lui donnons, ce mot pécheurs a un tout autre sens, infiniment plus profond, infiniment plus grave, et plus constitutionnel pour ainsi dire que le mot peccatum, techniquement un péché ; que l’idée, que le fait, que le concept d’un péché. Ce n’est pas du tout la même chose. C’est tout autre. Ce n’est pas du tout ce sens intellectuel, historique, découpé. Ici c’est l’état même et la condition de l’homme, la bassesse et la misère, l’infirmité. Et il est extrêmement remarquable, Halévy,