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aggraver un malheur, un accident irréparable), (que tout le monde sent, que l’un et l’autre vous sentez irréparable), (de rien faire qui puisse accroître), à défaut de votre ami un témoin, le célèbre témoin impartial, témoignerait, (le célèbre témoin historique), un juge, le juge jugerait que c’est vous qui avez tort, que cette amitié allait son droit chemin, et que c’est vous, on ne sait par quelle aberration soudaine, par un coup de tête, par quelle sourde remontée d’instinct, qui vous êtes mis en travers, qui vous êtes comme un étourdi jeté à la traverse. Mais comme un étourdi préparé de longue main. C’est vous qui vous êtes fait écraser. Et ce qu’il y a de plus fort c’est qu’ils ont raison. C’est que c’est vrai. Et vous savez bien qu’il y aura toujours dans le cristal un fil, qui sera le fil de cette fêlure. Et que dans la pierre et que dans le mur il y aura toujours un crépi, que l’on aura refait, qui recouvrira cette fissure et cette crevasse. Votre ami aussi le sait, ensemble avec vous, puisqu’il est votre ami. Et puisqu’il est la victime. Tout le monde le sait. Votre ami sait (aussi) que vous le savez. Il sait que vous savez qu’il le sait. Vous savez qu’il le sait ; et qu’il sait que vous le savez. Vous êtes, c’est pour cela que désormais le même regard n’habitera plus vos yeux. Vous êtes comme deux bêtes blessées, qui savent, qui ne regardent plus de même. Et une tendresse inconnue, inquiète, vous vient, une liaison nouvelle, si inquiète, une compromission, une complicité, d’avoir été victimes ensemble. D’avoir souffert ensemble. De la même blessure. L’un par l’autre. D’avoir été pris dans le même piège. Dans le piège éternel. Alors on n’est plus brave. On est comme deux prisonniers de guerre, qui eussent capitulé ensemble,