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qui soient assez fins pour être raciniens, il suit qu’en réalité il y a beaucoup moins de raciniens que de cornéliens.

§19. — Quand nous ferons, à notre tour, quand nous referons après tant d’autres le célèbre parallèle (si inégal) de Corneille et de Racine, nous reconnaîtrons aisément, ce sera une de nos premières constatations, une de nos reconnaissances capitales, mais une de nos reconnaissances pour ainsi dire préliminaires, sur le seuil, avant le seuil, que Corneille ne travaille jamais que dans le domaine de la grâce et que Racine ne travaille jamais que dans le domaine de la disgrâce. Corneille n’opère jamais que dans le royaume du salut, Racine n’opère jamais que dans le royaume de la perdition. Corneille n’a jamais pu faire des criminels et des pécheurs (ses plus grands criminels et ses plus grands pécheurs), qui ne fussent éclairés de quelque reflet de quelque lueur de la grâce, qui ne fussent nourris de quelque infiltration de la grâce ; abreuvés ; qui ne se sauvassent en quelque point, en quelque sorte. De quelque manière. Et même les sacrés de Racine sont pétris de disgrâce. Ce n’est pas seulement Phèdre qui est une païenne, et une chrétienne, et une janséniste à qui la grâce a manqué. Non seulement toutes ses femmes et toutes ses victimes et tous ses hommes. Mais ses enfants même, ce qui est infiniment pire, mais ses sacrés mêmes, ses exécrables prêtres, Joad, Eliacin, Josabeth ; Esther, Mardochée ; son prophète même, ou ses prophètes. Ils sont tous irrévocablement pétris de disgrâce, (serait-ce donc de la disgrâce janséniste ; qui placée comme un germe, comme un virus à l’origine