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à un fruit charnel. L’incarnation, vue de ce côté, l’insertion, cette insertion cardinale, apparaît ainsi comme un accueil, comme un accueillement, comme un recueillement de l’Éternel dans la chair, comme un achèvement d’une série charnelle, comme un couronnement d’une race charnelle, et non seulement comme une histoire arrivée à la chair, et à la terre, mais comme le couronnement, comme l’aboutissement d’une histoire arrivée à la chair, et à la terre.

Dans cette vue la race elle-même, la race d’Israël culmine, comme un arbre de vie, s’achève, culmine à produire elle-même charnellement Dieu :

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.

Sans doute il a mis dieu avec un petit d : un dieu. Mais ne nous frappons pas. C’est beaucoup moins peut-être l’aboutissement d’un paganisme que un hommage rendu à la libre-pensée. Il fallait être libre-penseur en 1860 et quelques. Ou il ne fallait pas être libre-penseur. Il fallait être libre-penseur ou clérical. La politique voulait que l’on fût l’un, ou l’autre. La politique de Hugo voulait notamment qu’il fût l’un. Il fallait que Hugo fût, pour Hugo il fallait être libre-penseur. Ce un dieu, ce petit d est un bon point, une surveillance que la politique de Hugo exerçait sur son génie. Le génie, lui, était naturellement mystique. C’est un mauvais tour, un mauvais (très) petit tour petit que la politique a voulu jouer au génie, la politique à la mystique, le politicien