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l’enfance, innombrables dans la mémoire, et par conséquent en réalité, dans la réalité, si pleines, si neuves, si inépuisables, si inusables dans la mémoire et dans la réalité, qui forment un point d’appui, un volume d’appui en quelque sorte si inépuisable dans la mémoire et dans la réalité, ils savent bien que moi aussi, que moi comme eux, que moi parmi eux pendant des heures innombrables tous les matins à la même heure enfant j’ai infatigablement rituellement essuyé les mêmes meubles cirés avec un torchon de laine, jusqu’à s’y mirer parfaitement, jusqu’au parfait mirouër, jusqu’à épuisement parfait de la poussière et de la buée. Ils savent ainsi que je connais comme eux, avec eux, parmi eux, que j’ai comme eux en eux éprouvé cette plus grande joie qu’il m’ait jamais été donné, qu’il ait été donné à l’homme de connaître. Une joie parfaite, close, totale ; un maximum ; sans retour, sans regret, sans remords ; sans un point de poussière, sans un atome de regret, sans une ombre d’ombre. Une plénitude, une perfection, un total. Un plein. Un rassasiement parfait. On en avait plein la tête et plein le cœur. On en était gorgé. Puissé-je écrire jamais comme on essuyait les meubles, la mée, le buffet, le lit, (il n’y avait même pas d’horloge), puissé-je avoir jamais cette impression de victoire et de calme, cette certitude, cette plénitude, cette solitude, cette impression de possession définitivement, irrévocablement acquise, au moins pour un jour, puissé-je devant une phrase fouillée comme un buffet avoir cette vivante, cette laborieuse, cette ouvrière certitude, être sûr qu’au plus creux des fines, des délicates, des droites, des robustes moulures, pas plus qu’au plat le plus plan, au plat du plus large