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sans interférence de rien. Quinze ou vingt maisons où, quand je passe le pas de (la) porte, il n’y a pas l’ombre du déplacement de rien ; ni dans les esprits, ni dans les meubles, ni dans les cœurs. C’est à peine si on m’appelle monsieur Charles, — parce qu’enfin je vas tout de même avoir quarante ans. Et il faut bien que je boive un petit verre de vin, parce que c’est le grand rite, ou qu’alors, quoi, c’est que je ne serais plus de la maison, et que Paris m’aurait décidément corrompu ; (ou alors c’est que je serais (vraiment) bien malade). Ils me parlent quelquefois, quelquefois ils se hasardent à me parler de Gallouédec, qui est depuis plusieurs années leur conseiller général, (et même ainsi le mien, mon conseiller général natal si je puis dire ; du moins il l’était avant les dernières élections, avant le renouvellement de la semaine dernière ; je suis sûr, je veux croire qu’il l’est encore), parce qu’ils soupçonnent que je dois le connaître à Paris. C’est aussi un professeur. Pour eux je suis un professeur. Et c’est tellement vrai. Ils appellent cela parler politique. Parler politique, pour eux, c’est toujours un peu anormal, un peu compromettant, un peu singulier. Un peu dangereux. C’est toujours une opération de grand risque. Il faut se lancer. On se risque. (Et on risque.) (Et le plus fort c’est qu’avec les mœurs (politiques) actuelles dans les campagnes, dans les petites villes, et même dans les grandes, c’est vrai.) Aussi on n’est tout à fait bien à l’aise, bien hardi, pour parler politique, que dans le lieu de toutes les hardiesses, de toutes les audaces, quand on est bien à l’abri, dans la chaleur, dans la fumée, dans la douceur, dans la tiédeur, dans les pipes, derrière la porte et les fenêtres familières, dans l’abri, dans l’atmosphère familière, abri-