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une formule ; mais elle est féconde : elle peut rendre la vie aux âmes sèches et aux cœurs arides.

Il s’agit de savoir si l’on vit en esprit, si l’on veut, si l’on sait en esprit, ou si l’on met l’esprit même dans la prison de l’intérêt direct, du nombre et de la matière. Péguy a horreur d’une vie non spirituelle. Une cause idéale vaut seule la peine d’être servie. La politique doit être idéale, comme la morale, comme toute action de l’esprit. Moins l’idéal, une République n’est plus rien du tout. Et la France, tout de même. L’affreuse guerre qu’elle subit, en attendant qu’elle la mène, est une guerre pour l’idéal. Nous ne mourons pas, disent les Français, pour trois lés de terre, fût-ce de la terre la plus aimée du monde ; mais pour tout ce qu’ils signifient : ils sont la robe à la chair, et la chair est robe au cœur d’une mère. La force n’est pas la justice ; le pouvoir n’est pas l’autorité ; la terre seule n’est pas la patrie : toute valeur humaine est en esprit ; toute vraie puissance a un fondement mystique : elle touche et persuade, plutôt qu’elle ne contraint et détruit.

Ce qui passe la raison, dans la connaissance et l’action même, oblige la conduite et meut la raison. Pour avoir tout empire, il faut que la raison elle-même se fasse mystique, et déesse, qu’on la mette sur des autels. L’idéal, qui n’a de réalité que dans l’esprit, et n’a donc de perfection qu’en esprit, anime pourtant toute réalité. Péguy voulait que l’homme eût une foi, une vérité, une morale, une mystique enfin. Il exigeait que la foi de l’homme fût la vertu du citoyen ; que la politique eût une morale, et que la République fût le gouvernement du peuple pour une cause idéale. Les Machiavels à un sou se moquent de cette ingé-