monde avait eu brusquement l’impression qu’il y avait une paille, que ce n’était pas cela, qu’il était comme il était, et non point comme nous l’avions rêvé. Quelques-uns déjà se plaignaient. Quelques-uns, sourdement, bientôt publiquement l’accusaient. Sourdement, publiquement Bernard-Lazare le défendait. Âprement, obstinément. Tenacement. Avec cet admirable aveuglement volontaire de ceux qui aiment vraiment, avec cet acharnement obstiné invincible avec lequel l’amour défend un être qui a tort, évidemment tort, publiquement tort. — Je ne sais pas ce qu’ils veulent, disait-il, riant mais ne riant pas, riant dessus mais dedans ne riant pas, je ne sais pas ce qu’ils demandent. Je ne sais pas ce qu’ils lui veulent. Parce qu’il a été condamné injustement, on lui demande tout, il faudrait qu’il ait toutes les vertus. Il est innocent, c’est déjà beaucoup.
Non seulement nous fûmes des héros, mais l’affaire Dreyfus au fond ne peut s’expliquer que par ce besoin d’héroïsme qui saisit périodiquement ce peuple, cette race, par un besoin d’héroïsme qui alors nous saisit nous toute une génération. Il en est de ces grands mouvements, de ces grandes épreuves de tout un peuple comme de ces autres grandes épreuves les guerres. Ou plutôt il n’y a pour les peuples qu’une sorte de grandes épreuves temporelles, qui sont les guerres, et ces grandes