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beaucoup plus à la manière du grand siècle, qu’à la coutume du moyen âge.

Ces hommes de quarante ans ont été aussi timides à conclure contre leurs habitudes d’esprit, que rebelles à la contrainte. La plupart n’a pas osé estimer ce qu’ils valent les poètes et les artistes qu’ils goûtaient pourtant le plus. Un trait leur est commun : ils sont révolutionnaires et conservateurs tout ensemble ; ils tiennent d’un double lien à l’anarchie et à la tradition.

Quant au petit nombre, qui seul a charge de créer des sentiments et des œuvres en art et en morale ; en eux l’audace et la finesse ont été égales : on ne les a peut-être jamais dépassées. On n’a jamais vécu pour l’art avec plus d’abandon, plus de foi, ni plus de sincérité. Et certes, si tout se renouvelle en France, d’ici à trente ans, et de là en Europe, c’est en nous qu'il faudra chercher l’origine de toute rénovation, et les premiers modèles de chaque nouveauté. Le poème en prose, le vers libre, la poésie toujours prise de plus près à la source musicale ; le roman tournant aux mémoires ou au rêve de la conscience ; la musique infiniment étendue dans le plan de l’harmonie ; la peinture et la statuaire qui tendent à un poème logique de la couleur et des volumes : en tout, nous avons trouvé la sensation et le fragment, ou le document sec et l’importune rhétorique ; en tout, nous avons voulu garder plus amoureusement le trésor de la nature, et la régler par le style. Un ou deux même se sont élevés jusqu’à la rêver ainsi : rêver la nature et lui donner le style, l’art n’a rien de plus grand.

Les derniers venus, cependant, sous prétexte de