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eux-mêmes : peut-être avaient-ils mieux à faire : agir n’est qu’une nécessité : ils l’ont révélée. Plus intelligents qu’on ne le fut depuis, ils ont pris plaisir à toute sorte de contradictions : à présent qu’ils vieillissent, ils s’en repentent.

Pour la plupart, comme il arrive toujours, ils n’étaient pas capables d’invention : le génie et les chefs-d’œuvre ne courent pas les rues ; mais ils le sont de goûter les façons les plus neuves de penser et de sentir, en art et en morale. Ils en ont été curieux jusqu’à l’avidité. La jeunesse de l’esprit est à tel prix, j’imagine. Plus d’un restera jeune, de la sorte, à soixante ans, parmi des hommes qui cesseront de l’être à trente. Ils ont mis décidément au rang des dieux les rares génies, qui furent nos précurseurs et qui s’étaient ajournés eux-mêmes à un demi siècle d’être compris : Stendhal et Flaubert, Baudelaire et Verlaine, Rimbaud et Cézanne, le vieux Beethoven et Wagner, avec les grands étrangers de l’Orient et du Nord, les Persans et la Chine, l’éloignement dans l’espace égalant le recul dans le temps.

Enfin, la musique est entrée pour une part décisive dans notre pensée et dans notre être : elle est le témoin de la vie sensible et du monde intérieur que la passion suscite désormais à l’intelligence, et dont elle lui impose la véracité secrète et la présence. À cet égard, Péguy était fort du passé et de l’école : la musique ne comptait pas pour lui, plus que pour la Sorbonne. Non seulement il ne la savait pas : il ne l’entendait même point. Il était tout humanités et lettres classiques,