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cablement enveloppés dans le désastre de l’affaire Dreyfus, combien de Juifs ont été les victimes, les réelles victimes, et sont demeurés les victimes de l’affaire Dreyfus, de cette trahison, de cette livraison de l’affaire Dreyfus. Combien de carrières, combien de vies juives ont été irréparablement ruinées, brisées, cela, nous le savons, combien de misères juives, nous le savons, nous qui étions de ce côté-ci de la bataille et pour le savoir il fallait être de ce côté-ci de la bataille ; combien en sont restés marqués de misère pour leur vie entière ; sans recompter celui qui est mort, sans compter ceux qui sont morts, comme des nôtres. Car enfin c’est une prétention qui fait sourire, que cette prétention des antisémites, que tous les Juifs sont riches. Je ne sais pas où ils le prennent, comment ils font leur compte. Ou plutôt je le sais trop, quand ils sont sincères. Mettons que je le sais bien. L’explication est bien simple. C’est que dans le monde moderne, comme je l’ai indiqué si souvent dans ces cahiers mêmes, nul pouvoir n’existe, n’est, ne compte auprès du pouvoir de l’argent, nulle distinction n’existe, n’est, ne compte auprès de l’abîme qu’il y a entre les riches et les pauvres, et ces deux classes, malgré les apparences, et malgré tout le jargon politique et les grands mots de solidarité, s’ignorent comme à beaucoup près elles ne se sont jamais ignorées. Infiniment autrement, infiniment plus elles s’ignorent et se méconnaissent. Sous les apparences du jargon politique parlementaire il y a un abîme entre elles, un abîme d’ignorance et de méconnaissance, de l’une à l’autre, un abîme de non communication. Le dernier des serfs était de la même chrétienté que le roi. Aujourd’hui il