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sesse : la bassesse est le premier outil de l’habileté. Pour des hommes qui veulent dominer, il faut convenir qu’une telle candeur n’est pas ordinaire. Nos aînés ont bien ri, et leurs fils qui sont nos cadets, en doivent rire plus encore.

En 1910, Péguy fondait « le parti des hommes de quarante ans », pour montrer qu’il n’était plus d’aucun, tout en restant du sien. Plaisante idée, qui ne donne pas le change sur une réalité fort triste : le parti de Péguy est le parti idéaliste. Il va de soi que la République a cessé d’en être, avec tous nos aînés et presque tous ceux de notre âge. D’où il suit que les bons idéalistes sont toujours seuls de leur parti. En gros, cette génération est sans doute la plus sacrifiée qu’on ait vue depuis un siècle.

Qu’elle ait choisi elle-même le parti du sacrifice, je n’en crois rien ; mais parfois elle en a été digne. Comme toutes les autres, elle comptait un nombre infini de profitants, et quelques beaux confesseurs de la foi, héros ou martyrs : ceux-ci, pourtant, d’une qualité rare, artistes autant qu’on le puisse être ; et même les plus habiles ou les moins ingénus ont fait le calcul de l’art avant celui de la fortune. En eux, cette génération fut donc la plus dédaigneuse, la moins mercenaire et, dans quelques occasions, la plus héroïque.

Elle s’est trouvée prise entre ce qui a été et ne peut plus être, qui tient toujours tout, et ce qui sera demain, qui veut tout tenir, et ne règne pas encore. Hommes de quarante à cinquante ans, aujourd’hui, presque tous ils ont façonné les jeunes gens à l’action, sans y entrer