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secret, s’avouer à soi-même en soi-même qu’il était innocent. Renoncer pour cet homme à la paix du cœur.

Non plus seulement à la paix de la cité, à la paix du foyer. À la paix de la famille, à la paix du ménage. Mais à la paix du cœur.

Au premier des biens, au seul bien.

Le courage d’entrer pour cet homme dans le royaume d’une incurable inquiétude.

Et d’une amertume qui ne se guérira jamais.

Nos adversaires ne sauront jamais, nos ennemis ne pouvaient pas savoir ce que nous avons sacrifié à cet homme, et de quel cœur nous l’avons sacrifié. Nous lui avons sacrifié notre vie entière, puisque cette affaire nous a marqués pour la vie. Nos ennemis ne sauront jamais, nous qui avons bouleversé, retourné ce pays nos ennemis ne sauront jamais combien peu nous étions, et dans quelles conditions nous nous battions, dans quelles conditions ingrates, précaires, dans quelles conditions de misère et de précarité. Combien par conséquent pour vaincre, puisque enfin nous vainquîmes, il nous fallut déployer, manifester, retrouver en nous, dans notre race, les plus anciennes, les plus précieuses qualités de la race. La technique même de l’héroïsme, et nommément de l’héroïsme militaire. Il ne faut pas se prendre aux mots. La discipline des anarchistes, par exemple, fut notamment admirable. Il n’échappe point à tout homme avisé que c’était en nous qu’étaient les vertus militaires. En nous et non point, nullement dans l’État-Major de l’armée. Nous étions, une fois de plus nous fûmes cette poignée de Français qui sous un feu