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et les traîtres mêmes. Mais ici encore il souffrira que nous ne l’accompagnions pas. Pour deux raisons, nous aussi. La première est assez basse et je m’en excuse d’avance. Elle est politique. C’est qu’on a beau être Jaurès, en pareille matière on ne sait jamais où l’on va, jusqu’où l’on entre, jusqu’où on réussit, ou au contraire, jusqu’où l’événement réussit contre vous, jusqu’où les autres, ceux où l’on entre, réussissent contre vous, sur vous, en vous-même. J’entends bien que c’est une espèce de contre-espionnage. Mais justement on sait assez combien les services du contre-espionnage (on l’a su notamment par l’affaire Dreyfus même, on l’a vu par tant d’autres) sont bizarrement mais naturellement embarbouillés, imbriqués dans les services contraires du droit espionnage. On ne sait jamais bien jusqu’où on trahit les traîtres. Jusqu’où on y réussit. Et jusqu’où au contraire la trahison, l’habitude, le goût de la trahison s’infiltre, pénètre dans les veines mêmes. On voit bien ce qu’on fait pour eux. On voit moins bien ce qu’on fait contre eux. Quand on va officiellement, formellement avec eux, parmi eux, on voit bien la force qu’on leur apporte. On voit beaucoup moins bien le tort qu’on leur fait.

La trahison de tous que l’on fait avec eux, à leur exemple, dans leur compagnie, on voit bien ce qu’elle rapporte, ce qu’elle leur apporte de trahison réelle. On voit bien ce qu’elle est de trahison. Au contraire la trahison d’eux que l’on est censé faire, on ne voit pas du tout toujours à quoi elle aboutit, ce qu’elle rend. Ce qu’elle est.

Quand une fois on a lâché, une fois qu’on a rendu la main, on ne sait plus jusqu’où elle se rend.