Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sorte de rage, parce qu’on nous le niait publiquement, et surtout peut-être parce que notre situation géographique dans la carte mentale et sentimentale, parce que les circonstances, les événements historiques nous avaient plusieurs fois donné les apparences de ne pas l’être.

Fondés sur le même postulat, partant du même postulat nous parlions le même langage. Les antidreyfusistes disaient : La trahison militaire est un crime et Dreyfus a trahi militaire. Nous disions : La trahison militaire est un crime et Dreyfus n’a pas trahi. Il est innocent de ce crime. Tout a changé de face depuis que Hervé est venu. La même conversation eut l’air de se poursuivre. L’affaire continue. Mais elle n’était plus la même affaire, la même conversation. Elle n’était plus la même. Elle en était une tout autre, infiniment autre, parce que le langage même était autre, infiniment autre, parce que le plan même du débat n’était plus le même. Hervé est un homme qui dit : Il faut trahir.

Nommément il faut trahir militairement.

Les antidreyfusistes professionnels disaient : Il ne faut pas être un traître et Dreyfus est un traître. Nous les dreyfusistes professionnels nous disions : Il ne faut pas être un traître et Dreyfus n’est pas un traître. Hervé est un qui dit, et Jaurès laisse dire à Hervé, et Dreyfus même laisse Jaurès laisser dire à Hervé, et en un sens, et en ce sens au moins Dreyfus même laisse dire à Jaurès même : Il faut être un traître.

Nommément il faut être un traître militaire.

Par cet entraînement de proche en proche, par cette sorte de dérapage de proche en proche, par cette déri-