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de cour suprême que la Cour de Cassation eût innocenté Dreyfus. Pour lui ce n’était d’aucun prix. Il considérait cette sorte de consécration juridique comme une consécration purement judiciaire, et uniquement comme une victoire temporelle, surtout sans doute comme une victoire de lui Bernard-Lazare sur la Cour de Cassation. Il ne lui venait point à la pensée qu’une Cour de Cassation pût faire ou ne pas faire, fît ou ne fît pas l’innocence de Dreyfus. Mais il sentait, il savait parfaitement que c’était lui Bernard-Lazare qui faisait l’autorité d’une Cour de Cassation, qui faisait ou ne faisait pas une Cour de Cassation même, parce qu’il en faisait la nourriture et la matière, et qu’ainsi et en outre il en faisait la forme même. Qu’en un sens, qu’en ce sens il en faisait la magistrature. Ce n’était pas la Cour de Cassation qui lui faisait bien de l’honneur. C’était lui qui faisait bien de l’honneur à la Cour de Cassation. Jamais je n’ai vu un homme croire, savoir à ce point que les plus grandes puissances temporelles, que les plus grands corps de l’État ne tiennent, ne sont que par des puissances spirituelles intérieures. On sait assez qu’il était tout à fait opposé à faire jouer l’article 445 comme on l’a fait jouer (Clemenceau aussi y était opposé), et tous les embarras que nous avons eus du jeu de cet article, les embarras insurmontables qui se sont produits, qui sont résultés du jeu de cet article, ou plutôt de ce jeu de cet article étaient évités si on lui avait laissé le gouvernement de l’affaire. Il ne fait aucun doute qu’il considérait ce jeu comme une forfaiture, comme un abus, comme un coup de force judiciaire, comme une illégalité. En outre, avec son clair bon sens, bien français, ce juif, bien parisien, avec son clair