Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.

très exactement, le patron. En dehors de nous, je dis très limitativement, comme on dit dans le droit, en dehors de nous des cahiers, il n’y a que M. Édouard Drumont qui ait su parler de Bernard-Lazare, qui ait voulu en parler, qui lui ait fait sa mesure.

Les autres, les nôtres se taisaient dès avant sa mort, se sont tus depuis avec un soin, honteux, avec une perfection, avec une patience, avec une réussite extraordinaire.

Et il était mort avant d’être mort.

Ils avaient comme honte de lui. Mais en réalité c’étaient eux qui avaient honte d’eux devant lui.

C’étaient les politiciens, c’était la politique même qui avait honte de soi devant la mystique.

Combien de fois n’ai-je pas monté cette rue de Florence. Il y a pour tous les quartiers de Paris non seulement une personnalité constituée, mais cette personnalité a une histoire comme nous. Il n’y a pas bien longtemps et pourtant tout date. Déjà. Le propre de l’histoire, c’est ce changement même, cette génération et corruption, cette abolition constante, cette révolution perpétuelle. Cette mort. Il n’y a que quelques années, huit ans, dix ans, et quelle méconnaissance déjà, quelle méconnaissance immobilière. — Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville

Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ;

On demeurait alors dans ce haut de Paris où personne aujourd’hui ne demeure plus. On bâtit tant de maisons partout, boulevard Raspail. M. Salomon Reinach devait demeurer encore 36 ou 38 rue de Lisbonne. Ou un autre numéro. Mais enfin Bernard-Lazare y passait, y pouvait