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Ils se méfiaient. Prévoyaient-ils ce tumulte énorme, cet énorme ébranlement. On ne prévoit jamais tout. En tout cas ils n’aiment pas soulever des tumultes.

Quand donc la famille de M. Dreyfus, pour obtenir une réparation individuelle, envisageait un chambardement total de la France, et d’Israël, et de toute la chrétienté, non seulement elle allait contre la politique française, mais elle n’allait pas moins contre la politique juive qu’elle n’allait évidemment contre la politique cléricale. Une mystique peut aller contre toutes les politiques à la fois. Ceux qui apprennent l’histoire ailleurs que dans les polémiques, ceux qui essaient de la suivre dans les réalités, dans la réalité même, savent que c’est en Israël que la famille Dreyfus, que l’affaire Dreyfus naissante, que le dreyfusisme naissant rencontra d’abord les plus vives résistances. La sagesse est aussi une vertu d’Israël. S’il y a les Prophètes il y a l’Ecclésiaste. Beaucoup disaient à quoi bon. Les sages voyaient surtout qu’on allait soulever un tumulte, instituer un commencement dont on ne verrait peut-être jamais la fin, dont surtout on ne voyait pas quelle serait la fin. Dans les familles, dans le secret des familles on traitait communément de folie cette tentative. Une fois de plus la folie devait l’emporter, dans cette race élue de l’inquiétude. Plus tard, bientôt tous, ou presque tous, marchèrent, parce que quand un prophète a parlé en Israël, tous le haïssent, tous l’admirent, tous le suivent. Cinquante siècles d’épée dans les reins les forcent à marcher.

Ils reconnaissent l’épreuve avec un instinct admirable, avec un instinct de cinquante siècles. Ils reconnaissent, ils saluent le coup. C’est encore un coup de Dieu. La ville encore sera prise, le Temple détruit, les femmes