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réelle, fournit l’inépuisable matière d’une étude qu’il peut n’être pas capable de faire ; et pour la même raison Lavergne, opérant une œuvre réelle, fournit, comme et d’après son modèle vivant, l’inépuisable matière d’une étude qu’il n’est pas forcé d’avoir faite ; ni la vie sous la forme de l’action, ni la vie sous la forme de l’opération, n’attend après la science ; la science peut l’éclairer, la surveiller, la contrôler, la corroborer ; mais la science ne fait pas la vie ; c’est méconnaître à la fois la vie et la science, l’impérieuse nécessité de la vie et la liberté totale de la science, que de brouiller ainsi les fonctions de la connaissance et les fonctions de l’action ; c’est précisément cette confusion qui a préparé l’usurpation du romantisme et de la représentation ; au lieu de vivre une vie réelle dans l’ordre de l’action, le romantique vit une image, une représentation de vie en pensant aux spectateurs ; quand il n’a pas de spectateurs, lui-même il se fait spectateur ; il n’agit pas en considérant la réalité agie ; mais il agit comme à la scène ; il est en perpétuelle représentation ; il ne pense qu’aux effets produits ; il se conduit dans l’ordre de l’action en fonction non pas de l’action, mais de la connaissance qu’il veut que le spectateur ait de cette action ; pour dire le mot, il est tout envahi de cabotinage ; au lieu d’avoir une réalité comme est la réalité, matérielle, récalcitrante, obscure, difficile, et débordant de toutes parts la connaissance et la science, une réalité comme les véritables savants la connaissent et la reconnaissent, ils ont une pseudo-réalité formelle, rationnelle, claire, soumise, fausse, facile, commode à la connaissance, de même grandeur qu’elle, non mystérieuse ; et ce n’est pas étonnant, puisque