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taires ; ils ne sont pas belliqueux ; ils ne sont pas militaires ; ils ne sont pas autoritaires ; ils ne subissent pas l’autorité ; ils ne sont pas enthousiastes ; ils ont l’admiration rare ; ils évitent les cérémonies, officielles, officieuses ; ils se méfient de l’éloquence ; ils redoutent l’apparat ; on les accuse, non sans apparence de raison, d’être tristes, souvent maussades ; ils ne paraissent pas aux banquets ; ils ne portent ni ne soutiennent les toasts ; la chaleur communicative ne se communique pas en eux ; les votes retentissants les laissent froids ; les ordres du jour de la victoire les laissent indifférents et perpétuellement battus ; les drapeaux, même rouges, leur font mal aux yeux ; les fanfares, même socialistes révolutionnaires, les étourdissent ; la joie des fêtes publiques leur paraît grossière ; les inaugurations pompeuses ne leur apportent pas la profonde joie des commencements et des naissances ; les enterrements et les commémorations ne leur apportent pas la parfaite plénitude complète achevée de la mort ; ils sont très sévères ; ils ne se montent pas le coup sur la valeur des hommes et des événements ; ayant une fois mesuré le monde à l’immense mesure de la misère, ils ne mesurent pas à d’autres mesures ; les mesures usuelles, succès, majorité, vente, leur paraissent petites ; les malheurs qui ne sont pas de la misère, insuccès, minorité, mévente, ne leur paraissent pas des malheurs sérieux ; les malheurs qui ne font pas tomber ou retomber dans la misère ne leur paraissent pas des malheurs pour de bon ; les bonheurs qui, dans l’ordre de l’économie, ne sont pas le bonheur d’échapper à la misère ne leur paraissent pas des bonheurs proprement dits : ce ne sont plus que des avantages, des com-