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aussi longtemps qu’il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d’injustice et de haine.

Le problème de la misère n’est pas sur le même plan, n’est pas du même ordre que le problème de l’inégalité. Ici encore les anciennes préoccupations, les préoccupations traditionnelles, instinctives de l’humanité se trouvent à l’analyse beaucoup plus profondes, beaucoup plus justifiées, beaucoup plus vraies que les récentes, et presque toujours factices, manifestations de la démocratie ; sauver les misérables est un des soucis les plus anciens de la noble humanité, persistant à travers toutes les civilisations ; d’âge en âge la fraternité, qu’elle revête la forme de la charité ou la forme de la solidarité ; qu’elle s’exerce envers l’hôte au nom de Zeus hospitalier, qu’elle accueille le misérable comme une figure de Jésus-Christ, ou qu’elle fasse établir pour des ouvriers un minimum de salaire ; qu’elle investisse le citoyen du monde, que par le baptême elle introduise à la communion universelle, ou que par le relèvement économique elle introduise dans la cité internationale, cette fraternité est un sentiment vivace, impérissable, humain ; c’est un vieux sentiment, qui se maintient de forme en forme à travers les transformations, qui se lègue et se transmet de générations en générations, de culture en culture, qui de longtemps antérieur aux civilisations antiques s’est maintenu dans la civilisation chrétienne et demeure et sans doute s’épanouira dans la civilisation moderne ; c’est un des meilleurs parmi les bons sentiments ; c’est un sentiment à la fois profondément conservateur et profondément révolutionnaire ; c’est un sentiment simple ; c’est un des principaux parmi les sentiments qui