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gradation des peines, il semble que la constante préoccupation des catholiques sérieux ait été de savoir si l’âme éviterait ou non la précipitation, si elle serait damnée ou non ; la préoccupation du salut était capitale : être ou n’être pas sauvé ; de là tant d’efforts sérieux pour supprimer l’enfer ; soit que devenant hérésiarques ils aient enseigné la caducité des peines infernales ; soit que demeurant fidèles et pénétrant même au profond de la foi, ils aient tâché de sauver des âmes, c’est-à-dire aient tâché, littéralement, de supprimer l’enfer au moins pour ces âmes ; soit que de nos jours, devenant infidèles résolument, ils aient abandonné la foi catholique pour ne pas accepter l’enfer ; et de nos jours il est tout à fait certain que la foi due à l’éternité des peines a été pour la plupart des catholiques sérieux la cause la plus grave de révocation ; beaucoup de catholiques sérieux ont éprouvé le besoin, l’insurmontable besoin de supprimer l’enfer ; ils ont commencé par le supprimer dans leur âme ; plusieurs vieillards seraient retournés au catholicisme, qui en furent empêchés par cet article seul : est descendu aux enfers, et l’interprétation que l’Église lui donne ; un très grand nombre de jeunes gens, sérieux, ont renoncé à la foi catholique premièrement, uniquement, ou surtout, parce qu’ils n’admettaient pas l’existence ou le maintien de l’enfer.

Il n’est pas nécessaire qu’ils retrouvent ce maintien parmi nous ; quand la société se résigne lâchement au maintien de la misère, la cité des hommes redevient aussi mauvaise que l’était de ce chef la cité du Dieu catholique. Le prix de la vie n’a pas baissé depuis la diminution, depuis l’élimination de la foi catholique.