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lent en lui la connaissance de l’égoïsme universel. Vu par lui, l’univers est misérable. Notre troisième et dernière conclusion de fait sera que la simple misère humaine a une importance universelle. La damnation a une importance universelle pour les catholiques. La misère sociale a une importance universelle pour nous. Un fait particulier peut causer une souffrance totale. Une absence particulière peut causer une privation totale :

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Nous ne pouvons pas, ce serait commode, mais nous ne pouvons pas croire qu’il n’y a pas de misère parce que nous ne la regardons pas ; elle est quand même, et nous regarde. Nous ne pouvons pas invoquer les sentiments de la solidarité pour demander à la misère de nous laisser la paix ; nous sommes forcés d’aller jusqu’aux sentiments de la charité ; mais il suffit de la solidarité pour que la misère puisse nous requérir.

Les catholiques sérieux ont toujours été préoccupés de l’enfer ; quelque importante que fût la gradation des béatitudes, il semble bien que la constante préoccupation des catholiques sérieux ait été de savoir si l’âme entrerait ou n’entrerait pas dans le royaume des béatitudes ; l’entrée, la participation, le être ou ne pas être de la vie éternelle avait une importance capitale : pour les catholiques sérieux le degré de la participation, qu’ils se le soient avoué ou qu’ils aient redouté de se l’avouer, pour ne pas offenser la munificence divine et pour n’en pas mépriser les dons, paraît avoir eu comme une importance ajournée ; quelque importante que fût la