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mais un spectateur bénévole, bon garçon, regardant commodément le monde et Jean Costa à sa petite place dedans. C’est altérer totalement les données du problème. Jean Coste a une image du monde ; si nous voulons que cette image ne soit plus la même, qu’elle soit modifiée, il ne s’agit pas de la prendre, séparément du monde, et de l’altérer, car elle serait modifiée, mais elle ne serait plus image ; il faut modifier le monde même ; c’est le seul moyen qu’elle soit une image modifiée, du monde modifié.

Je demande pardon d’insister autant sur la misère ; c’est un sujet ingrat ; une conspiration générale du silence nous laisserait croire que la misère n’existe pas ; seules les troisièmes et les quatrièmes pages des journaux nous signalent, pour nous émouvoir grossièrement ou pour nous distraire, les misères intéressantes, passionnantes, amusantes, refaites à souhait pour le plaisir des yeux ; la plupart de ceux qui parlent de la misère le font par intérêt, par emphase et démagogie ; les partis socialistes célèbrent par tant de banquets et par tant de fêtes la déviation de leur action récente que l’on se demande quelle fête ils imagineraient le jour que la révolution serait faite. Mais Jean Coste est dans sa misère. Il n’est pas seulement au centre de sa misère pour la connaissance qu’il a de sa vie ; Jean Coste est au centre de sa misère pour la connaissance qu’il a du monde. Les peines des autres hommes lui font une multiplication, un redoublement de ses peines. Les bonheurs des autres hommes le repoussent dans sa peine ; les bonheurs des autres hommes lui laissent un arrière-goût d’amertume et d’ingratitude, parce qu’ils réveil-