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ne dure pas ; la place laissée vide est occupée bientôt ; les sentiments humains que les sentiments religieux comprimaient se donnent ou se redonnent du volume ; la souffrance humaine se détend, se dilate, occupe l’emplacement précédemment occupé par la crainte et la peur et la souffrance religieuse. Et la souffrance humaine emplit souvent cet emplacement. Car la souffrance religieuse pouvait avoir un objet infini, éternel, surhumain : elle n’en était pas moins une souffrance humaine, limitée dans le sujet, finie, limitée au sujet.

Quand une libération religieuse est accomplie, l’humanité respire, comme après un travail fait ; c’est un déménagement de fait ; cette impression ne dure pas longtemps ; c’est pour cela qu’il y a tant de jeunesse, tant d’ivresse, mais aussi tant de naïveté, quelquefois de la cruauté dans les générations qui s’affranchissent, tant de tristesse, mais aussi plus de sérieux et souvent de profondeur, et de la bonté dans les générations qui leur sont immédiatement consécutives ; on reconnaît alors qu’il n’y a rien de fait, aussi longtemps que tout n’est pas fait ; à cet égard au moins ; que nous devons renoncer aux religions parce qu’elles ne sont pas fondées rationnellement, parce qu’elles ne sont pas vraies, non pour nous donner de la place dans nos sentiments.

C’est pour cela que les radicaux ne sont pas des hommes de notre génération ; loin d’être en avance, comme on le dit, sur la situation intellectuelle de l’humanité présente, ils sont en retard d’une génération ; ils sont, littéralement, des rétroactionnaires, c’est-à-dire, en un sens, déjà des réactionnaires ; ils ont, quand ils tapent sur le curé, une joie naïve, sincère ou feinte,