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et aux écrivains, par dessus la tête creuse de la plupart des parlementaires de langue et des parlementaires de plume ; quand un candidat parle de l’enfer social, économique, il veut dire une situation où l’on ne se trouve pas bien ; quand le peuple dit que la vie est un enfer, il garde au mot son sens exact, premier.

Quand avec le peuple ou, vraiment, dans le peuple, nous parlons d’enfer, nous entendons exactement que la misère est en économie comme est l’enfer en théologie ; le purgatoire ne correspond qu’à certains éléments de la pauvreté ; mais la misère correspond pleinement à l’enfer ; l’enfer est l’éternelle certitude de la mort éternelle ; mais la misère est pour la plus grande part la totale certitude de la mort humaine, la totale pénétration de ce qui reste de vie par la mort ; et quand il y a incertitude, cette incertitude est presque aussi douloureuse que la certitude fatale.

On objecterait en vain que notre comparaison n’est pas fondée, sur ce que les peines infernales sont inépuisablement atroces ; d’abord elles ne sont pas toutes extrêmes ; l’attention, comme on pouvait le prévoir, s’est portée presque toute sur celles qui étaient extrêmes, autant l’attention des poètes que l’attention populaire, mais il n’est dit nulle part qu’elles soient extrêmes toutes, ni qu’il y en ait beaucoup d’extrêmes ; puis on ne ferait que de constater que notre comparaison est une comparaison ; mais on n’établirait pas qu’elle est mal fondée ; on oublie cette première loi de la psychologie, que les malheurs sont pour nous ce que nous les sentons ; les souffrances nous sont comme nous les éprouvons ; la capacité de souffrance étant demeurée au moins la même sans doute, la souffrance humaine