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tenir la paix, il faut être au moins deux ; celui qui a fait la menace peut toujours la mettre à exécution ; il peut toujours passer de la menace à l’accomplissement de la menace.

Il ne dépend pas de nous que l’événement se déclanche ; mais il dépend de nous d’y faire face. Mais pour y faire face nous n’avons ni à nous tendre, ni à nous altérer, ni à nous travailler particulièrement. Nous ne sommes point du gouvernement, nous sommes des petites gens de l’armée. Quand nous avons bien regardé notre feuille de route ou notre lettre de service et que nous nous sommes procuré quelques paires de chaussettes de laine, quelques bonnes paires de bonnes chaussettes de grosse laine neuves, pour ne point laisser nos pieds en morceaux au hasard des étapes, quand nous nous sommes entretenus en bon état d’entraînement et de santé, quand nous sommes restés bons marcheurs, bons coureurs, bons vivants, nous avons fait tout ce que nous avons à faire. Nous n’avons ni à rompre ni à altérer nos métiers, ni à rompre ni à altérer nos vies ordinaires.

Si quelque appréhension de ce qu’une intolérable menace militaire peut un jour être réalisée, se glissant sournoisement ou insolemment dans nos consciences, nous faisait introduire dans nos métiers, dans nos vies, dans nos formes, dans la forme de notre race et je dirai dans la forme de notre vie intérieure la moindre altération, c’est là ce qui serait déjà, c’est là ce qui serait alors une défaite, c’est là ce qui serait déjà un commencement de la défaite, un essai de la défaite, un commencement d’invasion, et sans aucun doute la pire de toutes les invasions.