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ment comme une formalité officielle, une sorte d’abonnement à la salutation. Aujourd’hui hâtons-nous de recommencer. Car il faut aujourd’hui recommencer à nous souhaiter la bonne année.

La bonne année ; il en est de ces vieilles habitudes sociales comme des sentiments et des passions de la nature : on croit les connaître tous, et tout d’un coup on s’aperçoit que voilà qu’on n’en connaissait rien du tout ; la bonne année, vieille habitude désuète, naïve, inoffensive, et que l’on croyait bonne enfant. Et tout d’un coup voilà que l’on s’aperçoit que tout à l’heure, quand nos petits enfants viendront nativement nous souhaiter la bonne année, cette habitude amusée, mais cette habitude usée, dans l’ignorance totale où nous sommes de ce que nous serons dans un an, et d’abord si nous serons, cette habitude que l’on croyait épuisée prendra tout-à-coup une fraîcheur et un sens inattendu. En vérité nul ne supposait que cette habitude pût jamais redevenir une non habitude ; nul ne s’imaginait que cette habitude redeviendrait un jour une nouveauté, une innovation, un acte nouveau et premier, un point d’origine et de commencement de série ; et quand nos petits enfants parleront tout à l’heure, et comme eux tant de grandes personnes, ils diront des paroles que littéralement ils ne comprendront pas, ils parleront un langage qu’ils ne sauront pas, ils auront le don de prophétie, ou encore ils seront comme ces messagers de l’antiquité qui portaient un message, qui le faisaient tenir, qui le prononçaient, et qui ne savaient nullement ni ce qu’ils avaient dit, ni ce qu’ils avaient apporté. Ils ont une langue et des lèvres, et ils n’entendent point.

Nous au contraire, nous qui savons, quand tout à