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même ordre. L’existence dans le corps des producteurs de tout un peuple est une existence de vie. L’existence dans les rayons, sur les rayons de quelques bibliothèques est une existence de mort. Surtout étant donné ce que sont les bibliothèques modernes. Un poète qui gisait manuscrit, ignoré, incompris, non lu non lisible en quelque monastère perdu n’était lui-même ni un poète perdu ni un poète mort. Quelque moine pieux, méritant notre éternelle reconnaissance, pouvait le soigner, le conserver, le recopier, nous le transmettre enfin. Il n’était donc pas mort. Il vivait donc pour la vie à venir de l’humanité. Un poète, connu, compris classé, catalogué, qui gît imprimé aux rayons de cette stérile Bibliothèque de l’École Normale et qui ne serait point quelque autre part, qui ne serait point couvé dans quelque cœur, est un poète mort.