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Pauvres nouveaux, qui faisaient les malins. C’est encore lui qui leur enseignait ce que c’est qu’une édition, des éditeurs. Frais débarqués à Lakanal, pauvres petits garçons des provinces départementales françaises, les plus avancés d’entre nous débarquaient distinguant à peine d’un libraire, qui vend des livres, un éditeur, qui en sort, qui en fabrique. Ils disaient naïvement et couramment l’édition Hachette ou l’édition Colin. Quand encore ils regardaient à ces différences et connaissaient ces premières éditions mêmes : heureux encore ceux qui avaient de tels soucis. Et ils croyaient avoir tout dit quand ils avaient distingué une édition française d’une autre édition française. Et c’est à peine si les plus dévergondés osaient aller jusqu’à parler de Teubner et de Tauchnitz. Et quand ils avaient prononcé l’un ou l’autre de ces deux noms, ils reculaient d’effroi devant leur propre audace. Et ils croyaient qu’ils avaient passé les limites honnêtement permises de la science humaine, parce qu’ils avaient prononcé l’un de ces deux noms allemands. Alors intervenait doucement ce père Édet, — car Aedeas est lui-même un affreux barbarisme, — et il nous enseignait paternellement, sans ironie, sans orgueil de son ancien savoir, comme on enseigne aux conscrits dans les casernes quelques vérités par trop élémentaires paternellement il nous enseignait qu’un éditeur ce n’est pas un commerçant qui fabrique un livre ou qui le fait fabriquer, mais que c’est un savant qui établit un texte ; paternellement il nous enseignait tout le doux mépris paterne que l’on doit avoir pour ces commerçants qui s’enrichissent ou qui sont censés s’enrichir ou qui font semblant de s’enrichir en vendant du grec, et tout l’immense respect que l’on doit avoir, au contraire, toute