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tous ceux, petits élèves, qui eurent l’honneur et le bonheur de recevoir ses leçons, à Lakanal, à Henri IV, en Sorbonne, il enseignait cette probité intellectuelle qui entraîne infailliblement la probité morale. C’est lui qui aimait mieux un bon contre-sens qu’un douteux faux-sens. C’est-à-dire un beau contre-sens, hardi, franc du collier, bien dessiné, bien découplé. Mais bien délimité aussi. Plutôt qu’un de ces douteux à côté entre-deux bissecteurs qui ménagent également le bon sens et le mauvais. Qui sont une trahison perpétuelle du texte, et qui décèlent toujours chez leur auteur un double et louche et fourbe caractère faux fuyant. Ce n’est pas lui qui se contentait d’un à peu près. Sans morgue et sans aucun système, — comme tant d’autres, systématiques, et qui vous feraient un système rien que pour être, simplement, un honnête homme, — il enseignait inlassablement la probité, la lenteur, l’exactitude, l’attention, la précaution, le serré du texte, et de ne point confondre l’irréel avec le potentiel, et de ne point emmêler ensemble tous les paragraphes du Riemann et Goelzer. J’avais encore le son de sa voix dans la mémoire quand poursuivant aujourd’hui ma version grecque je fus amené à traduire enfin que Œdipe serait un mauvais, de ne pas faire tout ce que le dieu manifeste. Qui ne se rappelle encore et qui n’entend comme il prononçait un mauvais, en allongeant et en aggravant le au en ô : un môvais. Un môvais, c’était indistinctement et aussi sincèrement Œdipe qui désobéirait aux dieux que celui qui lui mettait Romanibus dans un thème latin. Romanibus était l’abomination de la désolation. Monsieur Gibout, vous m’avez encore mis Romanibus.