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grand nombre de lettres écrites par des instituteurs ; j’aime cette écriture soigneuse, régulière, grammaticale, presque toujours modeste, calme, et déjà conforme à la typographie ; ce papier écolier ; cette encre violette, qui sert à corriger les devoirs.

Tout y était, dans cette lettre : d’abord la répartition des genres entre la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen et les cahiers ; la Ligue, dont on fait partie ; les cahiers, qu’on lit ; la Ligue, chargée de préparer les cérémonies des nouveaux cultes ; les cahiers, à qui on s’adresse pour demander du travail.

Puis cette idée, cette illusion des pauvres gens que les cahiers sont déjà une importante publication, dont je suis le gérant important, que je suis en relation avec beaucoup d’hommes de lettres, de journalistes, d’éditeurs, de libraires, et qu’en outre les cahiers ont un esprit démocratique ; cette confusion presque universelle, et dont vivent les politiciens, entre l’esprit démocratique et l’âme populaire ; cette confusion non moins universelle entre la fraternité, la solidarité socialiste et la charité bourgeoise, le travail demandé comme un service.

Enfin et surtout cette illusion suprême des pauvres gens : que l’on peut trouver facilement du travail honnête ; qu’il suffit d’être courageux, vaillant au travail, soigneux, pour avoir le droit de vivre en travaillant ; que nous pouvons sauver de la misère les gens que nous aimons ; que nous pouvons sauver nos amis de la faim ; que nous sommes assurés nous-mêmes contre le déficit, contre la misère, contre le dépérissement et contre la mort.